Suisse - "Un garçon parfait" reçoit le prix Médicis étranger
29.11.08
La Suisse propre et soignée, ses garçons
parfaits. Le roman d'Alain Claude Sulzer, que les jurés du Médicis
viennent de primer, est la somme de toutes les perfections
helvétiques. La rigueur de Sulzer envoûte le lecteur. S'il est
séduisant, c'est par son extrême froideur, la beauté glaciale de
son style, que vient forcément troubler un mystère.
Ernest travaille depuis plus de trente ans dans
le même hôtel de Giessbach, où il est serveur dans la "Salle
bleue". Il est un employé modèle. Il a le goût des choses nettes
et bien coupées. Le service, les bonnes manières sont ses seuls
loisirs. Le reste l'ennuie. Il mène une vie sans histoire dans
cette Suisse de 1966 qui pratique activement l’homophobie. Ernest
est le genre de personne qui ne rougit jamais, n'a aucune crainte
ni passion. C'est ce qu'on croit, jusqu'à ce qu'un matin, il
reçoive une lettre d'Amérique de Jacob et que ses souvenirs
ressurgissent. Pas un jour ne s'est passé sans qu'il ait pensé à
lui et espéré le voir revenir au Grand Hôtel.
Il y a longtemps, avant la Seconde Guerre
mondiale, ce garçon a bouleversé sa routine. Un peu plus jeune que
lui, d'une beauté irrésistible, Jacob est arrivé en 1936
d'Allemagne pour travailler durant la belle saison. Il avait
commencé à l'hôtel comme grouillot avant de gravir les échelons et
de devenir, grâce aux conseils d'Ernest, un serveur irréprochable,
qui ne parle pas aux clients, leur sourit quand il faut et se
tient prêt, le petit doigt sur la couture du pantalon, à répondre
à toutes leurs requêtes.
Hitler vient de prendre le pouvoir. Les riches
familles juives ou celles des opposants allemands ne viennent pas
au somptueux Hôtel du Parc, qui domine le lac de Breinz, pour
jouir de la vue des célèbres chutes de Giessbach : elles fuient le
nazisme et le luxe feutré du palace est impuissant à calmer leur
effroi. C’est dans cette ambiance électrique que dès le premier
regard Ernest, taciturne et si convenable, tombe éperdument
amoureux. Ernest et Jacob deviennent amants.
Précis, juste, le récit prend corps autour de
l'aventure sensuelle brûlante qui unit les deux hommes - " c'était
là le bonheur, une faveur du destin " - et précipite aussi Ernest
dans le malheur : le beau Jacob, ambitieux et vénal, se laisse
facilement séduire par les riches clients. Après un progressif
éloignement, Jacob devient l'amant d'un romancier allemand qui
quitte l’hôtel avec sa famille pour émigrer en Amérique. Julius
Klinger, âgéet marié, tombe fou amoureux du jeune homme et devient
un torturant rival. Pour sauver les apparences, le jeune garçon
devient le secrétaire de l’homme de lettres.
Les allures classiques de l'écriture nous font
ressentir l'ambiance feutrée de ces grands établissements qui,
juste avant la guerre, n'avait pourtant plus rien d'insouciante.
Un roman bouleversant sur le double visage des amours
homosexuelles. L’amour fou entre garçons, entre égaux. Un amour
qui sera ici trahi et pourtant impossible à oublier.
Swissgay.ch
L'auteur
Allemand d’origine alsacienne, Alain Claude Sulzer parle français.
Il est né en 1953 et vit à Bâle. Il a publié "Annas Maske", "Urmein"
et, en 2007, Privatstunden. "Un garçon parfait" a déjà été traduit
en anglais et en portugais. Il est son premier roman à paraître en
français.
Un garçon parfait d'Alain Claude Sulzer,
traduit de l'allemand par J. Honigmann, éd. Jacqueline Chambon,
237 p.
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