"Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs les députés, La
proposition de loi qui vous est soumise est de celles auxquelles le Gouvernement
sassocie pleinement. [...]
Une évidence s'impose: pendant cent cinquante ans,
comme la rappelé Mme le rapporteur, de 1791 à 1942, la loi pénale française a
refusé la répression de lhomosexualité en tant que telle, cest-à-dire
entre personnes consentantes, y compris si lune delles ou les deux étaient
des mineurs de plus de quinze ans. [...]
Les années 1791 à 1942 ne sont pourtant pas,
historiquement, ce quon peut appeler une période de libertinage ou de laxisme dans
les murs; c'est l'époque du triomphe de la morale bourgeoise, avec ce quelle
comportait de valeurs et de rigueur au moins proclamées dans le domaine des murs.
Croit-on vraiment que si les champions de
lordre moral si exigeants du XIXe siècle quils sappellent Odilon
Barrot, Mole ou le duc de Broglie - avaient considéré que la sauvegarde des mineurs
contre ce quils appelaient le "désordre des murs" passait par la
répression pénale de lhomosexualité, ils nauraient pas saisi les
assemblées parlementaires, alors composées en majeure partie de notables, de projets de
textes répressifs identiques à larticle 331, deuxième alinéa ? Rendons-leur à
cet égard, témoignage; si Oscar Wilde a été condamné par la justice anglaise pour
avoir séduit Lord Douglas, nous savons que Verlaine ne pouvait être poursuivi par la
justice française pour avoir séduit Rimbaud, âgé de dix-sept ans, à moins
dailleurs, que la séduction ne fût en sens contraire. Tous les rapports de police
de lépoque témoignent que la liaison était notoire.
Alors, interrogeons-nous !
La justice anglaise sest-elle trouvée
grandie davoir détruit moralement et physiquement Oscar Wilde ?
Et l'homosexualité chez les jeunes gens de
laristocratie anglaise sest-elle trouvée réduite par ces pratiques
répressives ? À lire les mémoires de lépoque, il est permis den douter.
En réalité, ces législateurs du XIXe siècle
savaient fort bien - je n'ose pas dire par expérience séculaire - que jamais la
répression pénale na eu à l'égard de lhomosexualité, la moindre
efficacité.
Nul dailleurs ne le savait mieux que notre
éminent prédécesseur, larchichancelier de lEmpire, M. Cambacérès
lun des auteurs du Code pénal, bien connu au Palais-Royal sous le sobriquet de
"Tante Urlurette". [...]
LAssemblée sait quel type de société,
toujours marquée par larbitraire, lintolérance, le fanatisme ou le racisme a
constamment pratiqué la chasse à lhomosexualité. Cette discrimination et cette
répression sont incompatible avec les principes dun grand pays de liberté comme le
nôtre. Il nest que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux
homosexuels comme à tous ses autres citoyens dans tant de domaines.
La discrimination, la flétrissure quimplique
à leur égard lexistence dune infraction particulière dhomosexualité
les atteint - nous atteint tous - à travers une loi qui exprime lidéologie, la
pesanteur d'une époque odieuse de notre histoire.
Le moment est venu, pour lAssemblée,
den finir avec ces discriminations comme avec toutes les autres qui subsistent
encore dans notre société, car elles sont indignes de la France."
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